Tours, 25 rue du Commerce
Encore visible au n°25 de la rue du commerce, il s’agit de l’un des rares édifices renaissants qui ait survécu au temps et aux bombardements de 1940, bien que de substantielles modifications aient été apportées depuis sa construction située entre l’extrême fin du XVe et le début XVIe siècle. Donnant sur l’une des artères les plus passantes de la ville (l’ancienne Grand-Rue), presque au regard de l’église paroissiale Saint-Saturnin (aujourd’hui disparue), au cœur du fief de Saint-Julien, cet hôtel témoigne du statut social de son commanditaire par son ambitieux décor renaissant.
Un hôtel emblématique de Tours
La construction de l’hôtel fut manifestement relativement étalée dans le temps, comme en témoignent les différences de conception notables qui existent entre les façades antérieure et postérieure. L’édifice fut peut-être l’œuvre de Nicolas et Victor Gaudin, père et fils, ayant tous deux occupé la charge d’argentier des reines Anne de Bretagne et Claude de France [Riou, 2018, p. 67]. Au cours du XVIe siècle, la parcelle fit partie des biens de la famille Gardette [Riou, 2018, p. 77]. En 1599, elle est transmise à Victor Gardette, fils de René II Gardette, par sa mère Jeanne Barguin. À la mort de Victor, le 27 juillet 1616, l’hôtel est vendu à Gabriel Compain, échevin de la ville de Tours et seigneur de La Tortinière [Bosseboeuf, 1901, p. 227-228], qui le transmets à son fils Victor, qui n’y réside pas. La demeure est louée, le 23 avril 1677, à Nicolas Boicet [Bossebœuf, 1901, p. 232]. Lorsqu’il s’agit de mettre en vente l’hôtel à la mort de Victor Compain, en 1693, le bien est estimé à seulement 6 000 l. t., peut-être en raison de son mauvais état. Cela expliquerait qu’il fallut attendre dix ans pour que l’hôtel trouve preneur. Ainsi, le 1er septembre 1703 Gilles Douineau en fait l’acquisition et le conserve jusqu’à son décès en février 1738 [Bossebœuf, 1901, p. 233]. C’est son fils Gilles II qui en hérite, mais à la suite de différends dans la succession et du trop grand nombre de prétendant au bien, l’hôtel est mis en vente. Henri-François Goüin, fondateur de la banque Goüin, remporte les enchères le 28 mai 1738 pour la somme de 18 150 l.t. [Bossebœuf, 1901, p. 234]. Il entreprend alors d’importants travaux pour remanier l’édifice, qui sont poursuivis dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par son fils Henri-Pierre. La cuisine est aménagée dans la galerie Renaissance située dans la cour arrière et en 1766, un nouveau logis est construit au-dessus de la galerie. Presque intégralement détruit par les bombardements de 1940, dont ne subsistaient que la façade sud et l’escalier, il fait l’objet d’une reconstruction partielle dans les années 1950. Il resta dans les biens de la famille Goüin pendant un siècle avant qu’elle n’en fasse don à la Société archéologique de Touraine qui en fit son siège. En 1977, la Société archéologique de Touraine le cède à son tour au Conseil départemental d’Indre-et-Loire et il devient un musée.
Les différentes ventes dont l’hôtel fit l’objet donnèrent lieu à la rédaction d’actes décrivant la parcelle, l’agencement des logis et du voisinage immédiat de l’hôtel. En 1616, vraisemblablement à la suite de travaux réalisés vers 1610, la parcelle se composait ainsi d’une cour qui était séparée de la Grand-Rue par deux maisons entre lesquelles un passage large d’environ 2 m donnait accès à l’hôtel. L’une des maisons était reliée au corps de logis principal par une galerie supportée par cinq colonnes. Le corps de logis principal est modeste avec deux grandes pièces suivies d’une petite par niveau, desservies par une vis hors-œuvre située sur la façade nord. Une autre cour s’étendait à l’arrière du corps de logis principal et comprenait des écuries qui débouchaient sur la rue de Lange [Bossebœuf, 1901, p. 227-228].
Dans les années 1950, seuls le portail d’entrée de style Néo-Renaissance construit vers la fin du XIXe siècle et le corps de logis principal sont restitués [Base POP, IA00071274]. La façade nord du corps de logis principal conserve en grande partie l’aspect du logis primitif du XVe tandis que la façade sud a profondément été remaniée au début du XVIe siècle.
La façade sud : un exemple de la Première Renaissance
Sur la façade sud s’élève un avant-corps formé de deux loggias superposées et couronné d’une grande Lucarne flamboyante. La Loggia du rez-de-chaussée tient lieu de porche d’entrée dont l’accès est surélevé par un perron de dix marches. Cette composition, aujourd’hui visible depuis la rue, lui confère un caractère monumental. Les avant-corps latéraux, plus saillants mais moins élevés, comportent une loggia et une pièce couverte d’une terrasse. En dépit de cette dissymétrie, un garde-corps¹ règne sur toute la largeur du corps de logis, reliant le passage des loggias latérales au porche central. D’autres dissymétries sont notables puisque l’avant-corps central est décalé vers la droite en raison de travées inégales – des croisées à gauche et des demi-croisées à droite² – qui rythment la façade. Si ces asymétries peuvent interroger, il convient en réalité de les considérer comme des adaptations aux contraintes de la distribution intérieure et aux possibles dispositions antérieures de l’hôtel [Guillaume, 2012, p. 97].
De tels jeux de volumes contrastés en façade sont exceptionnels en Val de Loire à cette période. Cette construction fait écho aux représentations d’architecture imaginaire, tels le dessin italien Le Triomphe de Titus et de Vespasien de la fin du XVe siècle ou le tableau La Flagellation du Christ du XVIe siècle [Guillaume, 2012, p. 97 ; 2016, p. 248]. De telles représentations ont dû inspirer l’architecte de cet hôtel. À titre comparatif, le maître-maçon du cloître Saint-Martin semble s’être inspiré respectivement des plaques de bronze de Moderno (vers 1507) et de Fra Antonio da Brescia (vers 1505) pour réaliser les médaillons illustrant Le combat de David contre Goliath et le dieu Pan poursuivant la nymphe Sphinx [Cospérec, 2003, p. 330]. À Tours, sa façade exceptionnelle apparaît également comme un modèle. La loggia de la maison du 21 rue du Petit Soleil et les deux avant-corps de l’hôtel Babou de La Bourdaisière construits autour de 1515-1520 appellent la comparaison. Le décor de la façade de l’hôtel Goüin appartient à la Première Renaissance. Il inclut encore de nombreux motifs flamboyants : les niches à Dais des contreforts des avant-corps latéraux, les lucarnes à croisées avec des baguettes retombant sur des bases prismatiques et aux angles supérieurs arrondis, les hauts gâbles des lucarnes latérales, le gâble en Accolade orné de crochets végétaux de la lucarne centrale ainsi que les colonnes torses qui l’encadrent.
Le décor inclut également des motifs à « l’antique », mais leur usage est encore libre, ne répondant à aucune règle canonique, annonçant la Renaissance qui connaît l’emploi des ordres classiques : les arcs des loggias pénètrent leur support puis retombent sur des pilastres à disque et des colonnes. Des pilastres cannelés encadrent les fenêtres. L’une des remarquables caractéristiques du décor est d’être nappant, couvrant par de larges bandeaux sculptés les écoinçons ainsi que les dessus des arcs et des baies : d’énormes oiseaux reposent de façon instable sur des rinceaux et des cornes d’abondance très développés. Le modelé est plus lourd qu’au cloître de Saint-Martin, construit entre 1508 et 1519, où les rinceaux sont plus graciles mais moins envahissants que ceux de l’hôtel Goüin. Toutefois, l’édifice comprend de nombreuses restaurations et remaniements qui ont effacé les éléments renaissants d’origine, comme en témoigne l’allège du premier étage de l’avant-corps central où des oiseaux tenant les armes de la famille Gardette, mal restaurées, doivent remplacer des écus antérieurs³.
La campagne de construction renaissante semble pouvoir se situer autour de 1510 car elle présente les caractéristiques de la Première Renaissance française des quinze premières années du XVIe siècle, associant fréquemment les éléments nouveaux et la mouluration flamboyante. L’association des motifs à « l’antique » à l’usage libre, des grands rinceaux mal disciplinés et autres ornements « hors-normes » ainsi que des motifs flamboyants deviennent rares après 1515 [Guillaume, 2012, p. 97].
La façade nord : dans la tradition des logis seigneuriaux du XVe siècle
A contrario, la façade nord conserve davantage les dispositions du logis primitif organisé autour d’une cour dont le plan simple à tour d’escalier centrale rappelle le plan type du château de la fin du XVe siècle. Les jeux de volume des loggias n’y sont pas adoptés [Guillaume, Toulier, 1983, p. 16]. Deux travées composées d’une Croisée et d’une lucarne pendante s’ouvrent de part et d’autre de la tour d’escalier pourvue d’une Travée de porte, demi-croisées et lucarne. Sur cette façade où la symétrie n’est pas parfaite, les éléments de tradition gothique sont nombreux. Les croisées reposent sur des bases prismatiques. Les culots supportant les larmiers à retour sont seulement placés au-dessus des demi-croisées de la tour d’escalier et de la lucarne de la travée ouest. La Demi-croisée de la lucarne couronnant la tour présente des angles supérieurs arrondis. Les gâbles en accolade de la porte et de la lucarne de la tour sont ornés de crochets végétaux. Enfin, les cordons moulurés marquent inégalement les changements de niveaux. Les formes renaissantes sont tout autant utilisées. Les pilastres cannelés encadrent la croisée et des demi-croisées est. Les pilastres de la porte de l’escalier qui, en leur sommet, encadrent la table ornée de tritons dont les queues s’épanouissent symétriquement en rinceaux. Les rinceaux ornent le Tympan de la lucarne couronnant la tour. La lucarne à gâble en trapèze curviligne est sommée d’une petite coquille et cantonnés de pinacles où s’élancent de grandes flammes. Enfin, une partie du cordon marquant le changement entre le deuxième et le troisième niveaux est bordée par des denticules et des oves dilatés. Le savant mariage des éléments renaissants et des éléments gothiques est réussi grâce au décor qui se concentre sur les encadrements des ouvertures selon la tradition gothique flamboyante.
Ainsi la façade nord présente des caractéristiques de la fin du XVe siècle et des formes de la Première Renaissance comme le fronton en trapèze qui apparaît vers 1513 aux lucarnes du château de Bury (Loir-et-Cher) puis se diffuse très vite dans tout le Val de Loire [Thomas, 2012, p. 108]. Le cordon formé d’oves et de denticules de l’hôtel Babou construit vers 1520 fait écho à celui de l’hôtel Goüin.
Notes de bas de page
¹ « les balustres actuels remplacent des quadrilobes : deux inventions successives des restaurateurs. à l’origine, il devait y avoir une balustrade portant des sortes de candélabres, analogues à ceux du garde-corps du Lanternon de la cathédrale, puisqu’un « état des lieux » de 1739 assure qu’il faut « descendre les pyramides qui sont sur le perron dans la façade de devant, attendu qu’elles sont en péril » » [Guillaume, 2012, p. 104].
² Ces demi-croisées servent à éclairer les pièces qui n’avaient pas de fenêtres sur l’autre façade. En effet, les murs d’une petite pièce située entre l’escalier et la galerie bloquent la lumière entrante au nord vers cette grande pièce au sud.
³ « l’hôtel appartenait au milieu du XVIe siècle à Jeanne Barguin, épouse de René Gardette, maire de Tours de 1559 à 1561, qui fit sculpter sur l’hôtel ses armes, d’argent au croissant d’azur posé en cœur, accompagné de trois trèfles de sable (les restaurateurs ont multiplié les trèfles…) » [Guillaume, 2012, p. 103].
Bibliographie et sources
Archives départementales d’Indre-et-Loire, H 528, plan terrier de Saint-Julien de Tours (XVIIIe siècle).
Base POP, IA00071274 et PA00098170
Bosseboeuf Louis-Auguste, « L’hôtel Goüin, notes historiques », dans Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, T. 13, 1901-1902, p. 268.
Cospérec Annie, « Le cloître de la basilique Saint-Martin de Tours », dans Congrès archéologique de France, n°155, Paris, éd. Société française d’archéologie, 1997, p. 329-333.
Guillaume Jean, « L’architecture « antique » à Tours : premières expériences », dans Boudon-Machuel Marion, Charron Pascale (dir.), Art et société à Tours au début de la Renaissance, Brepols, 2016, p. 241-254.
Guillaume Jean, « Les débuts de l’architecture de la Renaissance à Tours » dans Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale, Girault Pierre-Gilles, Guilloüet Jean-Marie (dir.), Tours 1500 Capitale des Arts, Paris/Tours, Somogy/Musée des Beaux-Arts, Tours, 2012, p. 91-104.
Guillaume Jean, Toulier Bernard, « Tissu urbain et types de demeures : le cas de Tours », dans Babelon Jean-Pierre, Guillaume Jean, Boudon François et al., La maison de ville à la Renaissance : recherches sur l’habitat urbain en Europe aux XVe et XVIe siècles : actes du colloque tenu à Tours du 10 au 14 mai 1977, Paris, Picard, 1983, p. 9-24.
Riou Samuel, « L’hôtel Gouïn à la Charnière du XVIe siècle : nouvelles données archéologiques et généalogiques », dans Bulletin de la Société archéologique de Touraine, T. 64, 2018, p. 67-80.
Thomas Évelyne, « Quand l’architecture se fait ornement », dans Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale, Girault Pierre-Gilles, Guilloüet Jean-Marie (dir.), Tours 1500 Capitale des Arts, Paris/Tours, Somogy/Musée des Beaux-Arts, Tours, 2012, p. 105-109.